vendredi 23 janvier 2015

23-01-2015 22:30 - Conseil Représentatif des Sooninko de Mauritanie (CRSM): Déclaration

CRSM - Le Conseil Représentatif des Sooninko de Mauritanie a noté avec attention le nouvel appel au dialogue du Président de la République lancé lors de son discours prononcé à l’occasion de la cérémonie d’ouverture de la cinquième édition du festival des villes anciennes, le 4 janvier dernier, à Chinguetti.

Le chef de l’État a non seulement rappelé avoir annoncé, au début de son second mandat, sa « constante disponibilité à rester ouvert au dialogue avec toutes les composantes politiques nationales parce que convaincu de la nécessité de la participation de tous à l’œuvre de construction nationale », mais a aussi renouvelé son« entière disposition pour l’instauration d’un dialogue inclusif pour la réalisation des intérêts suprêmes de la nation » 

Le CRSM saisit cette opportunité pour rappeler avoir fait, il y a près de 6 mois, une proposition de dialogue inclusif de toutes les composantes de notre pays, non circonstancielle et sans arrières pensées politiciennes, à travers la publication et une large diffusion, jusqu’au sommet de l’État, de sa contribution « pour une redéfinition équitable du pacte fondateur de notre nation en construction » avec comme recommandation principale l’organisation « d’états généraux de la refondation ».

En effet, constatant non seulement, l’absence d’impartialité de l’oligarchie, érigée en système prétorien, administratif et notabiliaire, dans la construction nationale, entrainant la déliquescence de l’État-Nation ainsi que la faillite de l’intégration du concept de citoyenneté, mais aussi, la non prise en compte des réelles préoccupations des populations par la plupart des partis politiques, obnubilés par les seuls agendas électoraux, le CRSM s’est constitué en tant qu’institution et autorité morale fédérant et représentant, de manière trans-partisane, la communauté sooninkée de Mauritanie, composante à part entière de l’identité plurielle du peuple mauritanien.

Les propositions et recommandations du CRSM pour structurer la cohésion nationale sont regroupées dans les thématiques suivantes :

♦ Propositions d’un Pacte pour les Droits Fondamentaux des Communautés autochtones fondatrices de l’Etat moderne de Mauritanie.

• Toutes les communautés autochtones considérées de fait comme fondatrices de l’État mauritanien à savoir, par ordre alphabétique, les Bambaras, les Bidhane, les Haalpulaaren, les Hratine, les Sooninko et les Wolofs, sont libres et égales en droit, en valeur et en dignité. Elles ont droit à la Paix et à la sécurité. 

• Ces communautés ont le droit de ne faire l’objet d’aucune forme de discrimination et rien ne peut justifier la domination d’une communauté par une autre.

• Toutes ces communautés ont un droit imprescriptible et inaliénable à une autodétermination de leur identité.

• Elles ont le droit de ne subir aucune forme d’assimilation ou « d’intégration forcée » ou de destruction de leur culture. 

• Elles ont droit à la reconnaissance de la dignité inhérente à toute communauté ainsi qu’à la reconnaissance de leur contribution propre et spécifique à la richesse que constitue, pour la Nation mauritanienne, la diversité de ses communautés fondatrices.

• Elles ont le droit à comprendre et à être comprises dans leur langue en ce qui concerne notamment les procédures administratives et judiciaires en Mauritanie

• Ces communautés autochtones ont le droit de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle.

• Toutes ces communautés de citoyens mauritaniens ont droit à une juste répartition des ressources nationales et à un égal accès à la santé, à l’éducation, à la formation, à l’emploi, à l’information, aux moyens d’information, à la promotion de leur langue de leur culture et de leur histoire.

• Elles ont droit à ce que l’enseignement et les moyens d’information reflètent fidèlement leurs traditions, leur histoire, leurs aspirations. 

• Réformer l’enseignement qui doit être dé-dogmatisé et dépolitisé pour faire de l’École mauritanienne une école intégrée dans notre milieu socio-économique et culturel préparant le Citoyen de demain qui se construit et s’approprie une identité civique supra-communautaire, afin de réduire les échecs et les déperditions scolaires.

• Instituer et développer l’enseignement basé sur les langues maternelles dont le rôle d’atout est reconnu dans toute leur valeur pédagogique, puisque déjà acquises au moment de l’admission à l’école primaire, pour l’intégration des premières connaissances scolaires notamment dans les phases d’adaptation et de compréhension de l’apprentissage nécessaire de l’arabe et du français afin de faciliter le processus de communication en classe ainsi que la construction des connaissances par les élèves, puisqu’il est aujourd’hui irréfutablement admis et établi scientifiquement que la scolarisation immédiate des enfants par immersion, c’est-à-dire dans une langue qu’ils maitrisent insuffisamment ou pas du tout, compromet fortement leur réussite scolaire.

• Les communautés autochtones fondatrices de Mauritanie ont le droit d’établir leurs propres média dans leur propre langue et d’accéder à toutes les formes de média sans discrimination aucune.

• Elles ont le droit d’être consultées et d’être activement associées à toute réforme foncière nécessaire, notamment dans la définition et l’établissement des priorités et des stratégies, pour la mise en valeur et l’exploitation des terres qu’elles occupent et utilisent traditionnellement.

C’est une garantie d’impartialité et de transparence, prenant en compte des traditions, des coutumes et des régimes fonciers spécifiques, tout en appliquant, dans le cadre de la charia, le principe de préemption qui stipule que la terre appartient à celui qui la met directement en valeur.

Cette démarche participative et inclusive permettra de ne pas occulter la prise en compte de mesures adéquates visant à assurer des indemnisations et des réparations justes et équitables ainsi que de prévenir d’éventuels effets collatéraux, qui pourraient être néfastes sur les plans environnementaux, économiques, sociaux et culturels.

• Valoriser la sauvegarde du patrimoine et de la diversité linguistique en réhabilitant l’Institut des Langues Nationales, pour promouvoir les échanges et le dialogue inter-communautaire, dans le cadre du droit au savoir et à l’éducation ainsi que du droit à une identité propre inaliénable. 

• Simplifier l’enrôlement au niveau du fichier central de l’agence nationale de la population et des titres sécurisés de tous les mauritaniens et en particulier des négro-mauritaniens en arrêtant le harcèlement illégal et humiliant visant à les dissuader de se faire enregistrer et en recomposant totalement les commissions sur toute l’étendue du territoire national et à l’étranger pour que, dans chaque commission, chaque communauté soit représentée.

• Accorder le droit à la double nationalité, non conditionné par la seule volonté du Président de la République, pour échapper à toute ségrégation possible, aux mauritaniens ayant longtemps séjourné ou étant nés à l’étranger, en particulier aux enfants d’immigrés.

♦ Propositions de recommandations et de mesures de rupture quant à la question hratine, aux problèmes des descendants d’esclaves chez les négro-mauritaniens, ainsi qu’aux discriminations trans-communautaires à l’encontre des autres catégories sociales considérées comme subalternes telles que les castes d’artisans (forgerons, bûcherons et cordonniers), et celles des griots.

• Les pouvoirs publics doivent, de manière non équivoque, opérer une rupture avec l’attitude de déni qui prévaut concernant les pratiques esclavagistes et les discriminations sociales, en brisant le silence, par la reconnaissance de la réalité de ces ignominies qui perdurent.

• Faire appliquer de manière effective la législation en vigueur pour l’éradication des pratiques esclavagistes en mettant en œuvre la réception systématique et inconditionnelle de toutes plaintes avec la mise en route immédiate, des procédures de poursuites judiciaires qui doivent être menées sans discontinuité jusqu’à la décision du procureur de renvoyer ou non l’affaire vers le juge d’instruction.

• Compléter cette législation par la possibilité pour les associations des droits de l’homme de se constituer partie civile en tant que victimes morales ainsi que de la capacité d’ester en justice.

• Sanctionner par la loi le négationnisme envers le crime contre l’humanité que constituent les pratiques esclavagistes.

• Mener une enquête indépendante de grande envergure, sur toute l’étendue du territoire, impliquant les associations représentant et défendant les victimes de pratiques esclavagistes, pour une évaluation quantitative de celles-ci ainsi que de la nature des pratiques connexes.

• Former les autorités policières et judiciaires afin qu’elles jouent pleinement leur rôle de premier plan dans la lutte contre le fléau de la perpétuation de l’esclavage et des discriminations sociales héritées d’une stratification archaïque (forgerons, bûcherons, cordonniers, griots…).

• Sensibiliser les autorités religieuses et traditionnelles afin d’encourager l’évolution des comportements pour l’éradication complète des pratiques esclavagistes.

• Informer les victimes pour qu’elles prennent connaissance de leurs droits afin de les faire valoir.

• Mobiliser l’opinion publique pour une appropriation de l’éradication des pratiques esclavagistes comme une cause nationale prioritaire.

• Protéger, indemniser et accompagner dans leur réhabilitation et leur réinsertion les victimes de pratiques esclavagistes, dans une ambition de réparation intégrale et équitable.

• Institutionnaliser un devoir de mémoire en ce qui concerne l’esclavage pour rappeler le souvenir d’une ignominie qui dans une optique constructive doit occuper la place qui est la sienne dans les manuels scolaires et la conscience collective de la Nation.

• Créer une institution indépendante qui ne soit pas sur le modèle actuel des agences publiques, impliquant la société civile de manière paritaire avec des élus communaux et parlementaires ainsi que des représentants de l’autorité publique, en charge de l’égalité des chances et de la lutte contre toutes les formes de discriminations, en particulier les victimes des pratiques esclavagistes, les victimes d’exclusion par discrimination liée à une quelconque position de subalterne social, ainsi que les victimes de discriminations identitaire, tribale, ethnique et raciale.

• Simplifier l’enrôlement au niveau du fichier central de l’agence nationale de la population et des titres sécurisés pour tous les mauritaniens, en particulier pour la communauté hratine, qui semble être celle qui a le taux d’enrôlement le moins important alors qu’elle représente la majorité de l’ensemble de la population mauritanienne ainsi que les mauritaniens vivant à l’étranger.

• Mettre en place des zones d’éducation prioritaire dans les adwabas, quartiers défavorisés et bidonvilles avec des infrastructures et des moyens budgétaires appropriés, un encadrement et un suivi pédagogique adaptés, une évaluation et une motivation des enseignants, des élèves ainsi que de leurs parents, régulièrement suivis, en favorisant l’accès aux bourses, la création d’internats et de cantines scolaires…

♦ Propositions de recommandations et de mesures de rupture quant à la question du « passif humanitaire »

• Instituer une commission Dialogue, Vérité, Justice, Mémoire et Réconciliation pour transcender la fracture nationale générée par les violations massives des droits de l’homme survenues dans notre pays et qui sera le cadre pour une justice transitionnelle afin de :

o Favoriser la quête puis la révélation de la vérité quant à la réalité et la nature des exactions commises.

o Reconnaitre et situer les responsabilités.

o Obtenir la repentance des auteurs identifiés.

o Mettre en place des garde-fous institutionnels pour la non-répétition. 

o Prendre en compte globalement la nécessaire restauration effective de la dignité des victimes.

o Institutionnaliser un devoir de mémoire en ce qui concerne « le passif humanitaire », élément important de la non répétition des actes de barbarie, pour lutter contre l’ignorance, l’oubli et le mépris, en rappelant le souvenir d’une tragédie qui dans une optique constructive doit occuper la place qui est la sienne dans les manuels scolaires et la conscience collective de la Nation. 

o Assainir la Fonction Publique de ses éléments qui auraient été impliqués dans les exactions.

o Rechercher l’obtention du pardon et aboutir à la réconciliation. 

♦ Propositions de recommandations et de mesures de rupture pour le rééquilibrage des institutions démocratiques, la décentralisation territoriale et le partage du pouvoir. 

• Il s’agit de nécessaires rééquilibrages des pouvoirs entre les institutions démocratiques pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, la séparation des pouvoirs exécutif et législatif, ainsi que la réforme en profondeur du découpage et de la décentralisation territoriale, visant à éviter les déviations autoritaristes et ségrégationnistes itératives.

• Mettre un terme à la dualité actuelle du pouvoir législatif qui sera limité à l’Assemblée Nationale, considérant désuet le rôle du Sénat comme n’étant qu’une redondance de celui de l’Assemblée Nationale.

• Il faut atteindre une meilleure répartition du pouvoir exécutif, pour conforter sa dualité réelle non effective actuellement, entre le Président de la République, qui en a le monopole, et le gouvernement. Le Premier Ministre doit être le véritable chef du gouvernement, responsable devant l’Assemblée Nationale, il constitue avec les ministres un organe collégial distinct du chef de l’État qui a des pouvoirs et une autonomie propres.

• Possibilité de mettre en jeu la responsabilité du Président de la République dans certains domaines qui lui sont propres, en dehors des attributions du gouvernement, par le législatif qui a la possibilité de le révoquer. 

• Avec la suppression du Sénat des institutions de la République, la création de la fonction de Vice-président avec candidature de liste pour les élections présidentielles est proposé afin de remplir le rôle de remplaçant du chef de l’État en cas de vacance du pouvoir. Ceci permettra aussi de diversifier la représentation des différentes communautés à la tête du pouvoir. 

Ces rééquilibrages amèneront les différents pouvoirs à développer le sens du compromis pour résoudre les éventuelles crises institutionnelles et, associés à une réforme des forces de sécurité et de défense, ils rendront la possibilité de coup d'État moins probable. 

Le gouvernement, dirigé par un Premier Ministre dont le rôle et l’autonomie sont renforcés pourra assouplir la séparation des pouvoirs grâce à sa double responsabilité devant le Président et devant le parlement, et jouerait le rôle de"tampon", en cas de désaccord grave entre le parlement et le Président.

• Redynamiser et renforcer la décentralisation territoriale du pouvoir qui a été initiée depuis 1986 avec la communalisation, mais qui s’est retrouvé rapidement altérée et avortée. Ainsi l’État transfère un certain nombre de compétences et de moyens d’action propres au profit de collectivités territoriales qui en plus du niveau communal s’étendra au niveau des moughataas et des wilayas.

Ces collectivités territoriales auront ainsi des conseils élus avec une personnalité morale et juridique, s’administrant librement à travers une autonomie financière et une capacité administrative propre et elles disposeront d’attributions effectives et de larges pouvoirs réglementaires, sans interférences avec les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, dans les domaines comme le développement économique, la santé, l'éducation et la culture, dans le cadre prédéfini de la République unitaire et indivisible de Mauritanie, qui est chargée de vérifier la légalité des décisions prises dans ces domaines par les autorités locales. 

Les collectivités territoriales continueront néanmoins de dépendre du pouvoir central pour ce qui est des attributs de souveraineté comme les affaires étrangères, la défense et la monnaie...

La décentralisation vise ainsi à assurer un meilleur équilibre des pouvoirs sur l'ensemble du territoire pour impulser le développement local en rapprochant le processus de décision des citoyens et du lieu de leur mise en œuvre, par une délégation du pouvoir public et en favorisant, non seulement l'émergence et l’exercice d'une démocratie de proximité, mais aussi l’implication, la responsabilisation et le contrôle citoyens dans la gouvernance locale. 

Cette organisation décentralisée du pouvoir a l’avantage de permettre le traitement de la diversité des situations spécifiques localement à chaque collectivité territoriale dans le cadre d’une coordination aux niveaux, national, des wilayas, des moughataas, des communes, et intercommunal, afin d’y apporter des réponses adaptées.

• Au niveau de l’administration territoriale, procéder à un découpage territorial plus juste, en tenant compte de critères objectifs tels que la démographie et la vocation spécifique de chaque circonscription pour améliorer la bonne gouvernance et une meilleure représentativité parlementaire. 

• Nommer équitablement les responsables administratifs (Wali, Hakem, Magistrats, autorité de sécurité) en tenant compte des critères objectifs tels que la bonne conduite des missions dévolues, l’engagement patriotique, la compétence consistant en outre dans la maitrise des langues nationales les plus parlées localement par les administrés; La répartition des postes de responsabilité publique par le dosage ethnique, tribal, régional ou familial qui prévaut doit être proscrite.

• En matière de représentation internationale, tenir compte du caractère multiethnique de la Mauritanie en faisant la promotion d’une représentation de la diversité de la Mauritanie dans les missions diplomatiques. Cet ensemble de propositions et de recommandations constituent la contribution initiale du CRSMdont l’objectif général est de concourir à une redéfinition équitable du pacte fondateur de notre Nation en construction par l’organisation « d’États Généraux de la refondation en Mauritanie ». La démarche du CRSM écarte par principe toute instrumentalisation des difficultés, accumulées jusque-là dans la construction nationale, afin de ne pas verser dans l’alimentation des surenchères ethno-nationalistes extrémistes.

Cette démarche globale, vise à identifier, ensemble, dans la prise en compte de l’Autre, les fondements incontournables, pour l’égalité sociale et citoyenne dans une Mauritanie de Justice ayant comme socle la liberté de naissance, la dignité de l’Homme, les droits fondamentaux de la personne humaine et la primauté du Droit, pour la structuration de l’unification de notre Nation dans le respect de sa diversité, pour l’adoption d’un modèle et d’un projet communs de société, pour le renforcement de notre cohésion sociale et la paix civile.

Nouakchott, le 15 janvier 2015 

Source crédit : cridem.org

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